Témoignage d’un contrôleur de l’ARS
L’affaire ORPEA met en lumière plusieurs problèmes. Tout d’abord, celui des autorisations accordées aux entreprises lucratives pour exploiter des lits d’EHPAD. Il faut rappeler que c’est sur la pression des anciens conseils généraux appelés aujourd’hui Conseils Départementaux et celles des préfets -ces courtisans- qu’elles sont délivrées pour ouvrir des EHPAD lucratifs. Elles étaient au départ accordées gratuitement, mais il est certain que nos petits élus locaux en ont tiré profit de manière au moins indirecte. Pour rappel, la France n’est toujours pas classée dans les 20 pays les moins corrompus selon Indices de perception de la corruption Transparency International France.
Si ces autorisations sont accordées gratuitement, en reavanche, elles ont une valeur vénale. Ainsi en 2019 en Gironde, les autorisations pour une place se revendaient à 60 000€ entre détenteurs de ces autorisations. A ce prix, vous n’avez ni bâti ni mobilier.
Une enquête pour vérifier de qui aurait bénéficié de ces libéralités ne peut être entreprise par les services de l’Etat, car il serait nécessaire de coordonner ces services (police, Igas, ministère de l’économie). Seule une équipe d’investigation ayant la possibilité de remonter aux années 80 pourrait mettre en lumière cette corruption et ses mécanismes.
Alors que j’essayais de finir cet article, le canard enchaîné dans son article “L’intérieur bat en retraite devant Orpea” du mercredi 16 février indique que l’ex.PDG a négocié directement avec la place Beauvau (ministère de l’intérieur) une protection policière : ordre a été donné aux flics des Yvelines de la mettre en place. Mais l’unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) chargée d’évaluer le niveau de risque la classe comme inexistante…Pour rappel, Darmanin est un élu local…
Ensuite, on reproche à l’Etat de ne pas faire assez de contrôles d’EHPAD. C’est pour moi une diversion, en réalité c’est la qualité des contrôles qui devrait être interrogée.
J’écarte de fait les contrôles pour la maltraitance directe : il est rare qu’un professionnel maltraite sciemment une personne âgée. De toute façon, il est impossible pour un contrôleur de l’ARS d’être témoin de tels actes relevant du flagrant-délit.
La problématique que soulève l’affaire ORPEA concerne la maltraitance organisationnelle définie ainsi :”Toute situation préjudiciable créée ou tolérée par les procédures d’organisation (privées, publiques ou communautaires) responsables d’offrir des soins ou des services de tous types, qui compromet l’exercice des droits et libertés des personnes”. En effet, ORPEA -ou les autres gestionnaires d’EHPAD [Attention, cette réalité existe aussi dans les EHPAD publics ou associatifs. En effet, les moyens alloués pour la dépendance et la maladie sont calculés par les autorités de tutelle (Département et ARS) par rapport aux cotations sans prendre en compte le statut de l’établissement. Vous êtes aussi bien soigné dans un EHPAD lucratif qu’un autre. Il vous reste à charge la partie hébergement dite hôtellerie, et là les différences sont notables.]- en maintenant un sous-effectif constant crée une maltraitance se traduisant par un faible taux d’aide à la toilette, un planning de douches non établi à partir des besoins et des demandes des personnes âgées.
Si vous préférez par exemple prendre la douche avant de vous coucher et que vous avez besoin d’accompagnement, c’est tout simplement impossible…
Or les outils pour combattre cette maltraitance institutionnelle dans le cadre des contrôles effectués par l’ARS sont nuls. Ils existent mais sont inadaptés. Mais au-delà de cette problématique, se pose aussi la question des moyens humains. Je vous invite à regarder le nombre de médecins habilités à mener des inspections au niveau de la délégation départementale de Gironde de l’ARS[[https://www.nouvelle-aquitaine.ars.sante.fr/organigrammes
Celui à la date d’août 2021 n’est plus à jour, 3 collègues médecins sont partis. ]] pour la fin de l’année de 2021 et l’année 2022, c’est simple : un seul. Et en plus, il doit gérer les problèmes avec les hôpitaux, la gestion de la crise covid (campagne de vaccination incluse), les établissements et services médico-sociaux financés par l’assurance-maladie (établissements pour les personnes handicapées, les EHPAD, SSIAD..), la planification de l’offre de soins…En y incluant les près de 180 EHPAD de Gironde, nous parlons de près de 350 établissements et services, et de plusieurs milliers de prises en charge..
Évidemment, les problèmes aigus dans les EHPAD relèvent de la prise en charge médicale (cela englobe aussi pour moi la dépendance). Imaginez-vous le temps pour un médecin de l’ARS examinant un dossier médical au hasard de trouver les traces d’une mauvaise prise en charge ? les allers-retours nécessaires avec le médecin- coordinateur (quand il existe) de l’EHPAD pour comprendre la raison de certains actes médicaux ? Vous imaginez bien qu’un résident en EHPAD rencontrant un médecin inconnu de lui ne sera pas en mesure de témoigner des dysfonctionnements qu’il a subis. Malheureusement, les contrôles sur place ne durent qu’une journée. Exceptionnellement sur les cas graves, on arrive à constituer une équipe pour deux jours. En réalité, on ne parvient à observer que les prises en charge lourdement défaillantes.
Revenons aux outils de contrôle des EHPAD et aux sanctions, le ministère de la santé avec l’appui de l’Inspection Générale des Affaires Générales (IGAS) a développé des enquêtes Flash avec des trames pré-établies pour mener des inspections, notamment sur la maltraitance. Si elles facilitent le travail des contrôleurs, elles réduisent la qualité des observations et par voie de conséquence celles des suites à donner. Nous remplissons des grilles dans lesquelles nous posons des constats, sans donner un certain nombre de détails construisant notre raisonnement.
Malgré des constats faisant état d’atteintes graves à la dignité des personnes, il nous est impossible d’appliquer des sanctions puisque la législation ne le permet pas. Car depuis 2010, année de création des ARS, ces dernières ont perdu la possibilité de fermer des EHPAD, ce droit revient aux Préfets. Vous savez ceux qui ont donné l’autorisation….
Aujourd’hui que pouvons-nous revendiquer pour les EHPAD ? Pouvons-nous décider de les fermer ? Mais comment faire pour maintenir des personnes grandement dépendantes à domicile ? Petit rappel, statistiquement, les personnes âgées meurent plus précocement à domicile qu’en EHPAD… Nos habitats ne sont pas adaptés au grand âge, et à domicile elles sont moins surveillées médicalement, sauf quand elles cohabitent avec des proches mais elles peuvent être aussi victimes de comportement inadapté… Je suis convaincu qu’une personne sénile ou Alzheimer demande un effort énorme pour ses proches pour le maintenir à domicile, et que ce maintien n’est pas compatible avec nos modes de vie.
Cependant, on peut réclamer immédiatement:
· la fin du cadencement des toilettes,
· une organisation basée sur les besoins exprimés par les résidents (ou proches ou tuteurs)
· salaire unique pour tous les professionnels au sein des EHPAD (de l’ASH au directeur)
· aucun EHPAD lucratif sauf en mode coopérative. En Gironde, aucun EHPAD n’est sous forme de coopérative ouvrière (pourquoi alors que ce Département avec la Région prétend développer l’économie sociale et solidaire?)
· Retrait des autorisations pour les EHPAD éloignés d’un centre bourg, ou d’équipements.