Les éditions de la fabrique ont publié il y a peu un livre dont le sujet est l’AIT, cette première internationale de travailleurs qui se réunit pour la première fois en 1864. Une recension de cette “émancipation des travailleurs” de Mathieu Léonard en est faite, très intéressante, sur le site “article 11” et d’autres sur divers blogs. La lecture de cet ouvrage m’a paru agréable, d’autant plus qu’évitant certains pièges de l’érudition.Il sera bientôt disponible à la bibliothèque de notre UL.
Personnellement, ce qui me gène, ça n’est pas l’approche de Mathieu, ça n’est pas le contenu et je ne suis pas spécialiste de l’AIT pour y avoir vu des erreurs, deviné des parti-pris idéologiques. De l’AIT, je n’en sais que ce que j’ai pu en lire dans nos brochures, dans J. Guillaume et d’autres. Non, ce qui me gène, c’est le caractère eschatologique que l’on veut donner à la création de l’AIT dans les commentaires nombreux qui ont salué la sortie de ce livre. Comme le notent certains prosateurs, la création de l’AIT était une nécessité historique. C’est quoi ça, la nécessité historique? Ca veut dire que l’AIT devait être créée, parce que les conditions morales, économiques et politiques de l’époque en faisaient une nécessité? Donner comme nécessité ce qui est simplement une conséquence de faits antérieurs, c’est un peu se foutre de la gueule du monde! On a trouvé une équation qui permet de considérer que tel et tel évènement multiplié par telle situation économique et sociale divisée par l’état moral des troupes conduit nécessairement à tel autre évènement? Et on a trouvé le type qui dans le secret de son cabinet de réflexion l’a résolue? J’étais pas au courant.
On peut dire que le nucléaire sera et est déjà une catastrophe. On peut prévoir que le capitalisme produira encore plus de misère. Et l’on peut voir comme nécessaire des faits qui sont à venir. Et ça n’est pas parce que ces faits à venir sont nécessaires qu’ils se produiront. C’est un constat qui me chagrine depuis longtemps. Mais appliquer à un fait déjà produit la notion de nécessité, c’est se moquer de moi, et j’aime pas!
L’AIT a été créée au sein d’une société donnée, à une époque donnée, avec certaines personnes, certaines théorisations – elles mêmes conséquences d’une réalité historique, philosophique, scientifique, économique, sociale, etc. Elle est morte dans l’oeuf ou presque alors que nombre des conditions préalables à sa constitution n’avaient pas changé: il y a eu des grèves, quelques victoires ouvrières, mais si peu durant le temps de son existence! Sa fin serait-elle aussi une nécessité historique qui aurait permis le développement en Europe du marxisme? Et en continuant ainsi, il est fort à parier que l’élection de Berlusconi ou la dette grecque soient également des nécessités historiques. Et bien sûr, la refondation de l’AIT en 1922 est également, comme la perte de ma dent de lait à 4 ans, une nécessité historique, mais de ça, on n’en parle peu (je parle de ma dent de lait).
Je peux facilement comprendre la nécessité de mélanger de l’eau avec un sel pour avoir de l’eau salée. La conséquence que j’envisage dépend d’éléments nécessaires; de la même façon, il est nécessaire de manger pour vivre. Mais ça n’est pas suffisant. Il faut plein d’autres conditions que personne ne peut décrire tant elles sont nombreuses, imbriquées, mouvantes…La nécessité historique, c’est du messianisme, de l’eschatologie, la résurrection de cette putain de cause finale aristotélicienne, du matérialisme historique de bazar, faut faire gaffe quand même!
Ou alors, j’ai une solution à ce problème qui m’énerve: on dit que les mots n’ont plus de sens, et comme ça, on peut dire n’importe quoi, quitte à ne plus se comprendre!