Pourquoi parler d’une bande-dessinée d’horreur sur un site qui n’en a pas l’habitude ? Parce que La Guerre n’est pas qu’une BD : c’est un coup de poing. Un miroir tendu vers notre époque, une œuvre de propagande anti-guerre aussi intelligente que brutale, qui s’inscrit dans la lignée de Prévert et de son célèbre « Quelle connerie, la guerre ». Et quand deux monstres sacrés de la BD — Becky Cloonan, première femme à remporter le prix Eisner pour un one-shot, et Garth Ennis, maître incontesté du chaos narratif — s’attaquent au sujet, le résultat est aussi implacable qu’un obus.
Garth Ennis, c’est l’homme qui a fait exploser les codes du comics en y injectant une violence crue, un humour noir et une ironie blasphématoire. Ses scénarios, résolument adultes, parlent de politique, de morale et de folie humaine. La guerre ? Un thème obsessionnel, qu’il a déjà exploré dans Preacher (avec son épisode glaçant sur l’Irlande) ou The Punisher (où le héros est un justicier réactionnaire, machine à vengeance sans âme). Alors oui, La Guerre sort dans la collection « Horreur » d’un grand éditeur américain. Et c’est parfaitement logique : la guerre, c’est l’horreur absolue. Elle mérite ce traitement.
L’histoire commence comme le film L’Ultime Souper : un dîner chaleureux entre jeunes actifs progressistes, où les rires fusent et les taquineries vont bon train.On s’y reconnaît, on s’y attache. Puis vient le sujet qui fâche. Ennis, scénariste de génie, rappelle d’emblée les limites de nos débats contemporains : « On ne va pas se traiter de wokes ou de nazis, entre nous, ça ne mène à rien. » Une phrase qui claque, et qui plante le décor : l’actualité, les guerres en cours, le progressisme malmené par les médias aux mains des milliardaires, les réseaux sociaux transformés en arènes de haine.

Les personnages, d’abord spectateurs lointains du conflit ukrainien, basculent dans le cauchemar quand Londres est rayée de la carte. Avec elle, disparaît la famille entière d’un des protagonistes, enceinte. C’est le début de la fracture : certains tentent de se raccrocher à des illusions, d’autres sombrent. L’auteur y va sans détours : il pourfend les théories survivalistes, les bunkers de luxe vendus comme des assurances-vie par des entrepreneurs sans scrupules (lire cet article édifiant sur l’industrie du bunker, florissante chez les ultra-riches). Un couple d’amis se voit proposer une place dans un abri… mais le voyage tourne au cauchemar. D’autres découvrent, trop tard, que leur bunker n’est qu’un piège à rats. Pas de normes, pas de garanties : juste des entrepreneurs/escrocs qui profitent de la peur.

La Guerre n’est pas un récit de combat. C’est une plongée dans l’effondrement des liens humains, une démonstration glaçante de ce que nous devenons quand la civilisation s’écroule. Ennis et Cloonan ne racontent pas une histoire : ils dissèquent une mécanique infernale. Leur message est clair : la guerre n’est pas un conflit, c’est une boucherie. Une forme de cannibalisme social.

Alors oui, cette BD est classée « horreur ». Mais la vraie horreur, c’est de réaliser qu’elle parle de nous et de notre avenir.
Article personnel d’un militant du syndicat
ISBN :9791026827689
