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Quand ils ont fermé l’usine à Villemur, petite ville de Haute Garonne.

Note de lecture de ce livre

A la lecture du résumé de ce bouquin, (« quand ils ont fermé l’usine ») on peut se rendre compte que tous les éléments étaient réunis pour que la situation évolue en faveur des salariés et le maintien des emplois sur le site.

Ancrage local
L’ensemble des salarié·e·s appuyé par une intersyndicale dans laquelle tous les syndicats étaient représentés, et soutenu par les directions syndicales nationales (Bernard Thibaud, alors secrétaire général de la CGT accompagné de son bras droit Philippe Martinez vinrent les voir, évoquant de ne pas lâcher leur « savoir- faire ») avait aussi le soutien de la municipalité, de l’ensemble des habitants, des politiques, du clergé local, du club de foot, de chasse, etc.

Alors pourquoi cela a-t-il échoué?
Les salariés ont « presque tout tenté »: ils ont choisi la voie juridique, pensant que le droit ouvrier qui est une forme légale de reconnaissance syndicale après des années de lutte, ne pouvait être contourné. Ils avaient oublié qu’au droit syndical peut s’opposer le droit patronal et que dans une économie de marché avec un pouvoir aux mains des multinationales, le droit patronal sortirait vainqueur de toute façon. (Ex : Dans le livre, alors que le licenciement est considéré comme abusif par le tribunal de Toulouse, la responsabilité de la multinationale n’est pas reconnue, car elle avait acheté l’usine avec les salariés et n’avait pas participé directement à leurs embauches).
On pourrait comprendre qu’ils auraient pu choisir une voie plus combative et radicale, d’autres ont essayé : les « Contis » par exemple fonctionnaient avec un groupe d’une soixantaine de salariés qui menait les actions, en parallèle de l’action syndicale. A la suite du saccage de la préfecture de Compiègne, les directions syndicales les lâchèrent, les politiques se désolidarisèrent, les médias les accablèrent. Certains ont menacé de faire sauter leur boite avec des bonbonnes de gaz, et d’autres de polluer une rivière. Tous ces actes sont les conséquences d’un désespoir, mais les licenciements qui sont plus violents encore, détruisent des familles entières, dépouillent les êtres humains des biens matériels acquis par des années de dur labeur, et plus grave encore, ils dépouillent de tout sentiment d’appartenance à la classe des exploité.e.s en effaçant tout un passé.

Le besoin de regroupement des travailleurs luttant pour leur émancipation est à l’origine du syndicalisme. C’est ce besoin qui amène les prolétaires à instituer leurs propres règles au travail, leur propre droit : le droit prolétarien qui établit la charte unifiant la classe ouvrière. C’est la base de la prise de possession des usines par la gestion directe des moyens de production (autogestion). Cela permettrait de conserver les emplois sur place, d’éviter la désertification de sites entiers et d’assurer le maintien du tissu local (la vie).

L’occupation des usines, des ateliers, des bureaux, des hôpitaux, et encore moins l’autogestion ne sont à l’ordre du jour dans le syndicalisme aujourd’hui. Le mouvement social s’étiole peu à peu, la bataille contre la loi travail est en passe de changer de terrain pour aller sur celui du juridique.
Ne sommes-nous pas dans une économie globalisée ? Alors pourquoi le syndicalisme n’est-il pas international? Les espagnols, les portugais, les anglais, les allemands, les grecs, etc., subissent le même sort ; alors pourquoi ne pas s’unir en tant que classe opprimée?
Paciencia!

Revenons au bouquin et voyons comment les choses se sont déroulées.
« Quand ils ont fermé l’usine. Lutter contre la délocalisation dans une économie globalisée. »
Livre écrit par le collectif du 9 août qui mena une enquête durant six années démontrant que l’ancrage des « Molex » (nom donné aux salariés en lutte) dans la ville et aux alentours permit de faire de cette lutte contre la fermeture de l’usine Molex, une lutte contre le capitalisme international.

Ce collectif composé de sociologues, de politistes et d’historiens choisissent ce nom de « collectif du 9 août » en raison de la date (9 août 2016) à laquelle la cour d’appel de Toulouse confirma le caractère abusif, 8 ans plus tard, du licenciement de 191 salariés des 279 salariés, sans toutefois reconnaître la responsabilité de la multinationale Molex INC.

Le choix des armes pour mener ce combat fut principalement juridique.
C’est peut-être pour cela que d’après les auteurs, l’histoire de cette mobilisation est à la fois singulière et banale.

Banale parce qu’en 3 décennies, 2 millions d’emplois ont été supprimés.
Singulière car les « Molex » auraient pu profiter d’un soutien politique et médiatique dont l’unanimité était inhabituelle, alors que les « Goodyears », les » Contis » de Picardie, les « Freescale » de Toulouse n’ont bénéficié que d’une couverture médiatique.

Tout le monde se rappelle des images passées en boucle sur les écrans de télé où l’on voit les Contis « saccager » la sous-préfecture de Compiègne (Il n’y eut que quelques ordinateurs abîmés). La couverture médiatique servit aussi à discréditer le mouvement et les « Contis » furent lâchés par les directions syndicales et les soutiens politiques.
On entend souvent parler de ces fonds de pension américain ou autres qui achètent des entreprises, font monter les actions et ensuite délocalisent des sites industriels en raflant au passage les dividendes et toutes les aides octroyées pour créer de nouvelles entreprises ailleurs en Europe. Ce que l’on sait moins c’est comment cela fonctionne et ce livre détaille point par point tous les mécanismes, les pressions, les amitiés, les influences syndicales, les réticences des uns, et la convoitise de certains.

La convoitise
La convoitise de ces « cadres du coin » (issus de Villemur ou des alentours) qui savaient mais qui n’ont rien dit tant qu’on leur » graissait la patte ». Ils étaient huit, dont le directeur de l’usine de Villemur qui travaillaient sur le site depuis 10 où 15 ans, et qui ont accepté, moyennant des primes, la proposition du groupe de participer à la fermeture de l’usine et de l’organiser discrètement. La signature de cet accord confidentiel donna naissance à un groupe de cadres locaux soutenant la fermeture. Tous les autres cadres de l’usine de Villemur vexés de ne pas avoir été mis au courant, en se joignant à la lutte, ont permis à la CGC de renforcer l’intersyndicale qui était déjà active et qui se composait de la CGT (fer de lance du mouvement), de la CGC , de la CFDT, de FO et de la CFTC. Une section de cette dernière (composée de trois membres, dont deux avec mandat et entrant de ce fait dans la catégorie de travailleur protégé) a été créée dans l’urgence quelques mois auparavant ; ce qui a été considéré comme opportuniste.

Il y a aussi les cadres « de loin » (venus d’ailleurs) spécialistes de ce type de situation et dont le boulot est de préparer le terrain pour le démantèlement de l’usine. En 2007, une nouvelle DRH, connue pour sa participation à la liquidation d’une entreprise quelques temps auparavant, a été embauchée (elle contribua à en fermer une autre après Villemur, en Normandie).

L’existence d’une intersyndicale unie tout au long de la mobilisation peut sembler improbable au regard des tensions historiques entre syndicats dans l’usine.
Le rôle des deux porte- paroles responsables de la CGT qui deviennent progressivement les seuls à s’exprimer au nom de l’intersyndicale, consiste à faire exister un clivage » entre eux et nous » (la direction et les salariés) et à dépasser les dissensions entre les syndicats pour construire un discours unique, quitte à empêcher l’expression des voix discordantes, afin de bâtir une stratégie de lutte.

Tensions historiques
Ces tensions historiques et ces dissensions dans l’entreprise relèvent de stratégies différentes adoptées par les délégués syndicaux dans leurs rapports avec la direction, bien avant l’annonce de la fermeture de l’usine et de la création de l’intersyndicale.

Le 23 Octobre 2008 à onze heures trente, les haut- parleurs appellent les travailleurs de l’usine à se rassembler dans la cour.

L’usine va fermer: aussitôt le travail cesse, la grève ne durera que quelques jours. Les équipes de relève sont prévenues par téléphone. Quelques jours après, une opération ville morte est organisée et épaulée par la municipalité. On invite les commerçants à fermer les boutiques et à baisser les rideaux. Le curé fait sonner le tocsin et les habitants manifestent dans la rue aux cotés des salariés.

Cet ancrage local et cette solidarité sont dus aux engagements de plusieurs salariés, notamment de certains responsables syndicaux dans des associations locales (club de foot, club de pétanque, société de chasse) ; un autre en 2008 est candidat sur une liste » divers gauche  » aux élections municipales sans être élu. D’autres participent aux festivités locales, etc. A cela, il faut ajouter les relations familiales ou amicales nouées en dehors de la sphère professionnelle dues à la proximité résidentielle.
Le maire divers gauche participe aux côtés d’une cinquantaine d’élus locaux, au défilé lors de la journée « ville morte » ; à la fin de la manifestation, devant l’usine, il prend la parole et en appelle au président de la république de l’époque, Nicolas Sarkozy.
La petite communauté catholique de la ville soutient aussi la lutte des  » Molex  » et le curé de la paroisse prend l’initiative de sonner le tocsin lors de la journée  » ville morte ». Il dédie ses messes aux salariés de Molex.

L’humour est aussi présent dans l’usine et il crée un sentiment d’appartenance à un groupe plutôt qu’à une classe sociale ce qui peut effacer temporairement les frontières hiérarchiques qui seront réactivées au moment de la lutte.
Pour une syndicaliste de la CGT, les cinq années passées dans l’atelier de câblage ont été particulièrement heureuse.

Elle raconte : « c’était le top, quand c’était les rois on amenait la galette, quand c’était un anniversaire ou la fête à quelqu’un, chacun amenait un truc, on fêtait aussi les départs à la retraite et les départs en vacances et les chefs aimaient cela autant que nous « .

Un contrôleur relate également cette atmosphère, « on bossait mais il y avait un peu de déconne, c’était pas tous les jours non plus. Le samedi au boulot on mangeait avec le chef, on buvait une bière, on se racontait des blagues et on bossait « .
Ensuite un bras de fer s’installe entre d’une part la direction de Molex au Etats Unis, les syndicalistes, les pouvoirs publics.

Action directe et action violente
Si l’annonce de la fermeture a créé une surprise pour l’ensemble du personnel, quelques-uns avaient senti le vent venir. Dans le cadre d’un partenariat avec une autre usine du groupe Molex basée en Hollande, à la demande de la direction, la production est accélérée à Villemur. L’usine produit un grand stock de pièces qui est envoyé en Hollande, sous le prétexte de présenter ce savoir-faire lors d’une réunion des cadres américains. Les commandes habituelles ne se font plus à Villemur mais dans une usine du groupe en Slovaquie. Le 10 octobre 2008, ne voyant pas venir de nouvelles commandes, alertés par un cadre, les élus de la CGT interpellent la direction. Cinq jours plus tard, ils convoquent une assemblée générale entre 13h et 13h30 à l’heure où se croisent les équipes du matin et de l’après-midi. L’AG était destinée à prendre la température mais les attentes des syndicalistes sont vites dépassées. Lors d’une nouvelle AG le lendemain, il est décidé de neutraliser un moule de dernière génération. Une trentaine de salariés entoure le technicien pendant le démontage du moule de façon à ce que les cadres envoyés par la direction ne puissent pas savoir qui est ce « saboteur « .

Une autre fois, lors de la venue de cadres des USA, une vingtaine de salariés non syndiqués (souligné par les auteurs du livre) les attend à la sortie de la réunion du C.E. (Comité d’Entreprise) et jette 150 œufs sur leur passage.

La direction Molex est exaspérée, par ce qu’elle appelle le folklore du droit social français, propos tenus par un des avocats de la direction américaine. Il est inimaginable pour les dirigeants, que les travailleurs se battent pour le maintien de l’emploi. Comme si les enjeux pouvaient être identiques pour la direction d’un côté, et pour les salariés de l’autre. Aux USA, c’est le droit des contrats sous forme de négociations, de médiations, qui est privilégié au détriment du droit de travail des salariés. La direction dénonce aussi la malhonnêteté des syndicalistes qui ont systématiquement recours au juge, alors que des négociations sont sur le point d’aboutir. A la suite de négociations qui auraient échouées, les » Molex « se mettent en grève au mois de juillet 2009, elle est reconduite chaque jour sans occuper l’usine. La direction américaine décide de fermer l’usine au mois d’août, date à laquelle, devant l’usine, les salariés votent à main levée la reprise du travail. Dans le cadre de la médiation exercée par le gouvernement et se voyant acculée par la volonté des salariés de reprendre le travail, la direction Molex accepte de garantir les salaires du mois d’août 2009 en échange d’une acceptation du CE (comité d’entreprise) sur le PSE (Plan de Sauvegarde de l’Emploi). Le 15 septembre, le CE donne son avis, même négatif les négociations commencent. Mais si le conflit était terminé à Villemur, il commençait sur le terrain juridique. Le 18 septembre, le conseil des prud’hommes ordonne le paiement des salaires du mois d’août. Le 22 septembre les machines sont démontées et embarquées dans des camions sous le contrôle d’un ingénieur du ministère de l’industrie.

Les politiques
La scène politique aussi est intervenue dans le conflit des » Molex « . Il s’agit de convaincre les hommes politiques de prendre parti et de mobiliser les cabinets ministériels de Luc Châtel et de Christian Estrosi alors ministre de l’industrie auprès de Christine Lagarde, ministre du budget. L’ensemble du champ politique est venu à Villemur, de l’extrême gauche à l’extrême droite, du PS à l’UMP.
L’intersyndicale comprend très vite qu’en s’attirant la sympathie de la presse, tant locale que nationale elle pourra extérioriser la lutte des » Molex  » et jouer sur deux plans, le local et le national.

La presse a été très bien reçue sur le site lors d’une grève et a pu visiter l’usine au complet. La rencontre fût chaleureuse et accueillante.
Les journalistes ont suivi de près la lutte des » Molex « et ont couvert toutes les actions, manifestations, jugements, négociations entre l’État français, la direction Molex et les salariés. Les salariés ont quand même conscience que la relation avec la presse est à double tranchant. Libération publie une biographie d’un leader CGT qui n’est pas très bien perçue par les salariés car elle pourrait mettre en cause la cohésion du mouvement.

Presque tous les moyens dont disposaient les salariés de Molex furent utilisés, l’action directe par le sabotage de l’outil de travail, l’action violence sans gravité (jet d’œufs) et la séquestration du personnel encadrant. L’action judiciaire, l’appui local de toute la population, les politiques (en quête d’électeurs), la venue des dirigeants syndicaux nationaux, la presse locale et nationale, rien n’y fit. Après onze mois de lutte, c’est la fermeture de l’usine des « Molex « de Villemur. Elle laissera un goût amer, mêlant le doute à la rage. Pensant avoir loupé quelque chose, les uns se reprochent de s’être laissé entraîner dans une voie qui fatalement ne menait nulle part, sauf à la fermeture de l’usine. Ils auraient préféré faire comme les  » Contis « qui d’emblée demandèrent le maximum d’argent, sachant la fermeture inéluctable de l’usine. Quant à d’autres ils pensent au contraire n’avoir pas été assez loin dans l’action.