Article écrit par un militant de Bordeaux et paru dans le Combat Syndicaliste n°230 – novembre/décembre 2010.
Je suis fonctionnaire des ministères de la santé et des affaires
sociales et depuis près de douze mois, c’est la merde, Michel. Mes
ministères ont connu cette année une réforme profonde consécutive à la révision générale des politiques publiques dite RGPP. Cette année a vu la création de plusieurs nouvelles entités – suite à la disparition des DDASS et DRASS – dont les directions départementales de la cohésion sociale DDCS et les Agences Régionales de Santé (ARS). Dans cette dernière sont regroupés de nombreux corps de métiers (Directeurs
d’hôpitaux, Cadres de l’assurance-maladie, Fonctionnaires d’Etat,
contractuels de droit privé ou de droit public) qui ne travaillaient
pas conjointement.
Vous comprenez aisément que cette réforme profonde ne s’est pas faite sans heurts au niveau des fonctionnaires. En conséquence, je me suis tapé deux jours de grève avant de me faire six jours de grève pour les retraites en moins d’un an. Du coup, je ne sais plus quel est mon traitement (terme utilisé pour le salaire d’un fonctionnaire) mensuel normal.
Je constate que malheureusement ces grèves n’ont pas d’assise
populaire. En fait, nous sommes en moyenne 20% de grévistes dans mon ministère. J’ai découvert par ailleurs que certains fonctionnaires
posaient des jours de congés pour être solidaires avec les collègues
en grève. L’UNSA a repris cet argument dans un tract électronique
(là-aussi, c’est une découverte pour moi, le militantisme
électronique) pour indiquer que le nombre de grévistes était par
conséquent supérieur aux chiffres officiels du ministère. Je suis très
ravi d’apprendre que les collègues étaient solidaires avec moi,
l’abruti de gréviste. L’abruti qui intensifie son travail les jours
suivants, obligé de rattraper sa charge de travail non effectuée ce
jour-là.
Pour ceux qui ne savent pas comment est organisé la travail d’un agent administratif, je vais tenter de l’expliquer tout en les tenant
éveillés : la hiérarchie vous confie un certain nombre de dossiers que
vous devez avoir fini selon un calendrier déterminé. Dès lors que
vous prenez du retard sur un dossier tout s’écroule comme un château de cartes. Les autres dossiers prennent aussi du retard. Cela peut paraitre anodin, malheureusement derrière ces dossiers, il y a des emplois, des associations en difficultés, mais aussi des associations dirigées par des crapules qui les font fonctionner comme des entreprises.
Bref revenons à notre sujet après cette longue digression, au total
ces huit jours de grève commencent à peser sur mon moral. En plus
entendre l’autre Zebulon 1er se foutre de ma gueule, j’enrage. Sa cour remplie de courtisans qui lui lèchent le cul, tout ça pour avoir un
léger parfum de fumet au bout de sa langue. Pour un frôler le vertige
du pouvoir. Putain ! J’enrage !
J’ai acquis toutefois une certitude, ces grèves à répétitions n’ont
aucun sens. La situation est grave et je n’avais pas d’autre choix
pour ne pas me trouver complice d’une réforme des retraites qui n’est
que la première d’une vague visant à détruire tout notre système de
protection sociale. Vraiment je suis persuadé que l’on peut améliorer
la situation ; on ne doit pas la laisser s’aggraver. Comme c’est mon
article, j’en fais ce que je veux et donc je ne vais pas me gêner pour
vous raconter qu’il y a une dizaine d’années, j’ai eu des propos
honteux en professant qu’il était nécessaire que la situation
s’aggrave afin que les choses changent vraiment. Quel trou du cul
j’étais ? Le vrai petit anarchiste eschatologique tant décrié par le
Docteur ONFRAY, je vous rassure je me soigne. De quel droit je pouvais sacrifier d’autres humains pour une hypothétique révolution ?
Aujourd’hui, pour combattre la politique du pire, je me suis retrouvé
à faire grève dans l’urgence, je n’avais pas d’autres alternatives.
J’en sors fatigué, éreinté de ces grèves et manifestations à
répétition. J’ai le sentiment que c’est suicidaire. De m’être fait
avoir.Bien sûr ! La grève est l’arme du prolétariat… mais dans une société industrielle, quand les machines ne peuvent pas être arrêtées. Le coût de la remise en marche est tellement prohibitif que le patron n’a aucun intérêt à les stopper. Aujourd’hui dans une société
post-industrielle, où le secteur tertiaire, composé de petites unités
de travail, domine, il est nécessaire de réinventer des nouvelles
formes de luttes. D’ailleurs les syndicats réformistes ne parviennent
pas non plus à syndiquer les salariés dans cette organisation moderne du travail, où on entretient volontairement la confusion entre les différents statuts des travailleurs (indépendant, cdi,cdd…),
empêchant la comparaison entre les droits acquis de chacun. A ce
propos, ce mois d’octobre m’a néanmoins donné une satisfaction, et
notamment sur la comparaison des salaires et des conditions de
travail. Durant une assemblée générale rondement menée par la chef de la CGT (que j’aime bien!) de ma turne, j’ai découvert un angle
d’attaque qui a déstabilisé l’AG. J’ai demandé à ce que l’on axe nos
futures revendications sur l’égalité de salaires entre les différents
statuts pour un même travail (entre les contractuels de droit privé,
de droit public et les fonctionnaires). Je me suis créé de nouvelles
antipathies mais aussi de nouvelles sympathies, notamment auprès
d’une contractuelle qui fait le même boulot que moi, corvéable à merci, et dont le salaire est bien inférieur au mien. Enfin, j’avoue je me suis dégonflé car je n’ai pas osé réclamer le même salaire pour tous…
Peut-être qu’un jour les baisés n’auront plus à se compter.
Dean Lephion