Article proposé au comité de rédaction de notre revue
Le Sud Ouest de la France est connu pour ses ferias, genre de fête populaire ou l’on s’alcoolise beaucoup, ou l’on parle fort, où l’on chante des refrains connus dont ni l’alcool, ni le larynx fatigué ne permettent de comprendre les paroles. Accessoirement on y viole, on se fait tabasser ou l’on tabasse, on s’habille pareil, en rouge et blanc, et l’on y rencontre nombre de personnes aussi alcoolisées que vous. Au nom de la tradition on y tue aussi de pauvres bêtes en public et on s’amuse beaucoup autour de leurs tombes. La mairie y interdit d’une façon toute aussi traditionnelle toute manifestation à proximité des arènes (surtout contre les corridas) et les journaux locaux racontent les exploits de bouchers millionnaires aux noms sonnant espagnol.
Le hasard a fait que j’étais présent à deux grandes ferias du sud ouest, Bayonne et Dax, du moins quelques jours, quelques soirs. Arrivé à Bayonne avant les fêtes, ma première impression vint de ces grands placards publicitaires qui habillaient les abribus. Une affiche rouge sang indiquait que « Le viol est puni de 15 ans d’emprisonnement ». Diantre ! Suis-je donc tombé dans une orgie, suis-je à Gomorrhe? Il est vrai que je ne sais rien des traditions locales… Dans certains bars, une affiche rappelle que le sexisme et l’homophobie, ça n’est est pas bien. Dieu me soulage ! Mais suis-je donc tombé dans un repère de fascistes ? On m’a dit simplement que pour les fêtes, un couple homo qui se tient par la main, c’est de la provoc… Tradition, quand tu nous tiens !
Quand les fêtes commencent, la rue s’emplit de petits soldats tous habillés pareils : du blanc, du rouge, un foulard et pour les plus nantis, une ceinture qui, parait t-il permet de se lier les uns les autres, en amis, pour ne pas se perdre dans une foule compacte habillée exactement de la même façon. Ce gout pour les uniformes a-t-il avoir avec le gout de l’uniforme ou avec celui de l’informe ? Pour que la fête atteigne son but (quel est il ?), a t- on besoin soudainement d’une cité égalitaire ? La tenue festive, malgré ses déclinaisons plus ou moins bourgeoises (d’Hermès à Leader Price) n’est elle pas l’injonction faite par le pouvoir1 de mettre entre parenthèses les conditions sociales de vie des uns et des autres, de faire comme si le temps d’une fête, la lutte des classes était écartée au profit d’une bienveillante fraternité locale ?
La féria est une fête très bien encadrée par le pouvoir. Un journal local relayait l’information de France 3 selon laquelle 80% du budget des férias étaient consacrées à la sécurité. Car il ne faut pas oublier qu’au-delà de la manipulation mentale que de telles fêtes permettent (par l’uniforme, l’alcool, les corridas sanglantes…) il s’agit avant tout d’une opération commerciale. Et dans ce cas là, le client est roi. D’où toutes sortes de tolérances intolérantes comme le machisme, l’homophobie, le racisme. Le client est roi et c’est tout.
Les fêtes de Bayonne ont été inventée dans les années trente pour prolonger la période alors commerciale du 14 juillet et enrichir un peu plus les commerçants locaux. Ces commerçants ont alors importé de Pampelune des fêtes traditionnelles (c’est-à-dire qui existaient déjà, c’est tout), pour en faire une superbe foire commerciale qui est aujourd’hui d’après les spécialistes (ça existe !), la quatrième foire mondiale après le carnaval de Rio, Pampelune, et la fête de la bière à Munich (ces spécialistes ont oublié de comptabiliser la Mecque et Lourdes, ce qui en dit long sur leur maîtrise du sujet !). Les fêtes de Bayonne ont essaimé dans le Sud-ouest. Vinrent donc d’autres férias comme Dax et Mont de Marsan. De l’emprunt initial à une tradition « pampelunesque », ces fêtes ont gardé un parfum culturel qui se veut espagnol. On y fête l’Espagne au drapeau rouge et or, un mythe qui ne correspond à rien bien sûr, et qui n’a rien à voir avec l’Espagne d’un Don Quijote ou avec celle de 36 : aux abords des arènes, on se contente de mots espagnols pour décrire la lâche tuerie de pauvres bestioles par des bouchers aux habits de dieux.
Quand, il y a quelques années, la féria de Bayonne commençait à perdre des clients solvables et bons consommateurs pour cause de viols ou de violences, la mairie a pris des mesures pour relancer la machine et moderniser l’appareil à sucer du pognon. Elle a changé les dates de la féria, de telle façon que durant cette période deux types de population en soient privées. D’une part les allocataires des minima sociaux (qui sont payés vers le 6 du mois), et d’autre part les « estrangers », venus de banlieue ou d’ailleurs qui seront sur le retour ou à peine arrivés. En ajoutant des flics partout et des caméras, des badges verts qui disent que vous serez, en rouge et blanc, un être exceptionnel qui fera la fête, mais toujours au service des autres (en rouge et blanc bien sûr), en proposant dans quelques bars des gobelets recyclables, voilà non pas la violence matée, mais l’idée de révolte contrainte ! On est là, tous semblables à faire la fête c’est-à-dire à boire et à parler fort, à chanter des refrains dont on ne comprend même pas les paroles… Mais au hasard des rues, cette féria a été aussi l’occasion de croiser des gens qui n’avaient pas mis l’uniforme ; des gens qui eux, savent peut-être quel est le but de la fête ?
Pour les férias de Dax, ma compagne et moi avions été invité par des SDF locaux à partager une soirée sous le pont neuf. Petit bonjour en passant à Nadia qui n’y était pas, condamnée ignoblement à deux mois de prison pour insulte et rébellion contre des racailles policières qui ont moins d’humanité que le plus sournois de mes pets ! Le campement, initié par le DAL Dax se situait symboliquement (et pragmatiquement) sous un pont qui enjambe l’Adour. Ce camp rassemble encore autour d’une grande tente quelques jeunes et moins jeunes, sans logement, à la rue depuis plus ou moins longtemps et qui ont posé leur tente parmi celles de milliers de fêtards. Au cœur des fêtes, cette installation fait tâche. Le DAL Dax y a inscrit ses revendications, bien visibles, si visibles que les policiers viendront demander aux premiers jours des férias à ce qu’elles soient enlevées. Sans succès bien sûr. L’intimidation continua bien sûr, sans plus d’effet. Nous passâmes une excellente soirée, émaillée de ci de là par des altercations sans suite malgré l’alcool, les médocs ou les drogues. Bien moins de violence chez eux que dans l’armée des rouges et blancs !
Le surlendemain, pour le feu d’artifice final sur les berges de l’Adour, Les Dal Dax ont innové : ils ont construits deux radeaux et ont descendu les rives du fleuve aux berges noires de monde, avec sur la voile d’un radeau, leurs revendications. Ils se sont fait applaudir et n’en revenaient pas ! L’autre radeau a été échoué au milieu du fleuve, avec le drapeau « un logement pour tous » flottant au vent. Le maire n’a pas apprécié et fustigea à la radio ce manque de tact durant les fêtes, de la part de ces SDF qui font chier ceux qui ont tout et qui rêvent du reste.
Dans cette ville obèse de richesses, les férias avaient le même goût que celles de Bayonne. Mais comme à Bayonne j’y ai croisé des personnes qui donnent envie d’aller à la féria. Non pour y boire ou pour y parler fort, pour y chanter sans doute comme cette soirée sous le pont, mais aussi pour rappeler que penser, partager sa pensée et agir est tout autant festif, sinon bien plus ! Donc c’étaient plutôt de bonnes férias, sauf pour les violé€s, les tabassé€s, les comateux et comateuses… et les taureaux…
Un petit bisou à Nadia aussi, cette outrageuse et rebelle : quels compliments en si peu de mots !
Un militant de Bordeaux