L’objet de cet article n’est pas une critique littéraire, mais plutôt un partage d’informations.
Cet été, j’ai découvert par hasard un pan entier de la littérature anarchiste. J’apprécie de jeter un œil, de temps à autre, sur « Le Monde des livres », la section critique littéraire du journal Le Monde. Au début de l’été, j’ai lu une brève critique du livre « Ni dieux ni monstres » de Cadwell Turnbull mentionnant que le titre détournait un slogan anarchiste dans un contexte de roman « fantasy ». Curieusement, cette critique ne figure pas sur le site de l’éditeur, et je n’ai pas réussi à la retrouver sur celui du journal (à la date du 27 septembre 2024).
Bien que n’étant pas particulièrement friand de ce genre littéraire, le titre m’a intrigué, me poussant à m’y plonger. Ce fut un véritable choc culturel. L’auteur m’a dévoilé un univers nouveau, celui de la littérature populaire anarchiste. Comme beaucoup de Français, j’avais apprécié les séries du Poulpe et de Nestor Burma, deux célèbres anarchistes individualistes. Mais dans ce livre, les héros s’inscrivent dans une tradition communiste, ce qui change profondément la perspective. Certains passages, d’ailleurs, pourraient être utilisés comme tracts pour notre syndicat. Par exemple, celui-ci : “C’est l’évolution d’une devise anarchiste : « Ni dieu ni maître. » Elle signifie à l’origine : « Aucun humain au-dessus des autres. » C’est le refus de toute hiérarchie. Ridley suppose qu’aujourd’hui elle signifie plutôt : « Aucun humain au-dessus des autres, aucun humain en dessous », ou quelque chose d’approchant. Le refus de toute hiérarchie et de toute discrimination. Cela fait longtemps que Ridley n’a pas approché une manifestation d’assez près pour en ressentir l’énergie contagieuse. Depuis l’époque de Marcus, le traumatisme l’a tenu à distance, mais maintenant il se sent idiot d’être resté à l’écart aussi longtemps. Il s’était presque persuadé que son travail avec les coopératives suffisait. Il comprend son erreur. Au milieu de la foule, il comprend ce qu’il avait oublié : qu’une manif’, ce n’est pas seulement une voix contre la violence et l’injustice, c’est aussi un rappel. Même dans une cause perdue, personne n’est seul”.
Dans ce passage, l’auteur met en avant deux notions centrales de l’anarchisme. La première touche à l’égalité : il ne peut y avoir de démocratie sans égalité économique et sociale. Et c’est pourquoi, nous ne revendiquons aucun privilège par rapport à nos collègues ou nos semblables. Nous proclamons que seule la démocratie directe éviterait l’injustice.
La seconde consiste à vivre dans la solidarité et à y mettre son énergie. Parfois, nous pouvons penser que cette lutte est vaine, mais le simple fait de ne plus être seul, nous permet de résister et de nous organiser par nous-même. C’est avec le collectif qu’on pourrait gagner et non dans l’isolement.
J’ai également été captivé par sa description d’une assemblée générale au sein d’une structure de développement des coopératives. Il est évident que cette scène a été écrite par un militant libertaire qui aime ces moments de démocratie directe. Même s’il ignore parfois comment s’y prendre, il est conscient de la nécessité de maintenir le combat.
Je dois l’avouer, j’ai ressenti une pointe de jalousie, tant son talent m’a impressionné. Je me suis dit qu’il aurait pu aller encore plus loin, là où je n’ai jamais encore lu ce genre de descriptions : celle du plaisir procuré par une assemblée générale, cette construction collective, « immatérielle ». Quelle joie en effet ! Être égaux, créer ensemble une décision qui aura un impact concret, participer à une œuvre collective, dans une véritable communion d’idées… Mais je suis certain que Cadwell me répondrait en bon anar : « Fais-le toi-même ».
L’auteur, avec une habileté remarquable, utilise une multitude de personnages pour offrir une variété de perspectives. Je me suis particulièrement attaché à celui du libraire, convaincu qu’il s’agit d’un alter ego de l’auteur. Ce personnage est un métis, fils de deux médecins, qui a découvert l’anarchie à l’adolescence, presque par provocation, et qui, depuis, a embrassé cette philosophie. De tous les personnages, c’est celui qui a la vision la plus formalisée de notre philosophie. Les autres sont des “praticiens” n’ayant pas besoin d’avoir lu toute la théorie anar pour la mettre en pratique (en vrai, elle est tellement simple avec un peu de recul). Le libraire/auteur n’ignore pas la difficulté d’être anarchiste dans une société capitaliste. Il place dans la bouche de ses héros des réflexions qu’on retrouve probablement dans toutes les organisations anarchistes : quelles stratégies, quelles tactiques sont les bonnes ? Et pourquoi sommes-nous aussi peu nombreux ?
L’auteur s’amuse en nous laissant des références de-ci, de-là : la librairie se nomme “Anarres”, un clin d’oeil au livre “Les dépossédés” d’Ursulla K Leguin, que l’auteur nous incite aussi à lire, ce que j’ai fait durant l’été… J’en ai conclu qu’il me restait tout un pan de culture à explorer. Ce livre est une bibliothèque de romans anarchistes, et de bons conseils.
Rendez-vous le 24 octobre pour la sortie du tome 2 au titre « Nous sommes la crise » de la trilogie « convergence » en France ?