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Un peu de logique

On nous a servi grassement, avant leur crise, un slogan qui a fait son effet, le célèbre « travailler plus pour gagner plus ». Ce slogan est doublement bien trouvé : tout d’abord il met en lien direct la quantité de travail et l’argent qu’on en retire. Par ce tour de passe-passe, c’est l’impasse sur les revenus du capital qui ont augmenté énormément ces dernières années au détriment, justement, des revenus du travail. C’est l’impasse sur les profits permis par un rendement sans cesse en augmentation. C’est la mise au clou d’idées dérangeantes comme « augmenter les salaires » pour les plus sages, « socialiser les moyens de production » pour les plus énervés.
D’autre part, voilà un slogan qui a toutes les apparences d’une vérité logique. On pourrait y voir une équation mathématique, une implication logique, et c’est ce qui a fait la force de ce slogan. Burnies ou Goebbels1 n’auraient pas fait mieux !
La méthode est pourtant simple : mettre en relation directe deux choses qui ne le sont pas, dans le but de créer un lien cognitif nouveau entre deux concepts, lien qu’on illustrera de telle façon à ce qu’il devienne une vérité. Ici, c’est un lien très fort qui est dessiné entre le travail et le gain, et le travailleur a tôt fait de constater qu’en faisant des heures supplémentaires, son salaire augmente. Ceci étant parfaitement prouvé, les formulations telles que « travailler moins et gagner plus » sont trop dissonantes pour être audibles.
Faire passer une idée pour une vérité logique est un procédé très employé par les états, les religions, et en général les systèmes hiérarchisés. De discours en discours, faire le lien entre étrangers et délinquance permet de justifier les politiques nationalistes les plus viles, faire le lien entre jeunesse et violence permet de mettre en place les politiques répressives les plus démesurées. Pour les exemples venant illustrer et asseoir le lien cognitif, on peut faire confiance à la presse bourgeoise qui ne se préoccupe que du fait divers, tellement vendeur par lui-même.
Sommes- nous à l’abri de telles manipulations ? Je ne le pense pas (c’est personnel), en tout cas pas en tant qu’individu. Mais comme on est plus intelligent à plusieurs, une des méthodes de résistance à ces manipulations est le groupe et la discussion. L’auto-défense intellectuelle passe aussi par la connaissance que l’on peut développer, de notre façon singulière de penser et par des éléments de logique qui devraient être donnés à penser à tout le monde. On entend parfois des gens dire qu’ils ne sont pas logiques…C’est comme s’ils disaient qu’ils n’étaient pas humains ! Les différences d’intérêts ou d’éducation, sont certainement responsables de pareilles réponses, sans compter les dégâts que l’enseignement des mathématique ou de la philosophie ont pu faire chez certains…
Pourtant les choses sont assez simples : la logique se base sur deux principes généraux : le Modus Ponens et le Modus Tollens, en abrégé MP et MT. Le MP c’est de dire que si une chose en entraîne une autre, alors si la première chose existe, la seconde aussi : Si P alors Q, or P, donc Q. La seconde dit le contraire : si P alors Q, or pas de P, donc pas de Q2. Il faut juste faire attention à ne pas mélanger les P et Q ! En effet, on peut facilement se tromper et tomber dans le sophisme, raisonnement logique faux. Deux gros sophismes à connaître : l’affirmation du conséquent (AC) et la négation de l’antécédent (NA). L’AC peut s’écrire ainsi : si P alors Q, or Q, donc P. C’est une méthode très utilisée par les religions ( par exemple si Dieu existe alors les gens prient. Or les gens prient, donc Dieu existe).Le NA peut s’écrire : si P alors Q, or pas de P, donc pas de Q, est plutôt une technique politique (par exemple : s’il y a de la croissance, il y a de l’emploi, or pas de croissance donc pas d’emploi.)
Un petit jeu permet de mettre à l’épreuve la tendance que nous avons tous à produire des sophismes quand nous ne sommes pas en face de problèmes que nous maîtrisons. Imaginons 4 cartes imprimées recto/verso. Il y a un chiffre sur une face et un chiffre sur l’autre. Posées sur une table, elles laissent voir une de leur face tandis que l’autre est cachée. Voilà ce qu’on voit de ces cartes :
A D 4 7
Un petit con vous dit alors qu’il y a une règle à respecter dans l’impression de ces cartes. La règle est que s’il y a un A sur une face, alors il y a un 4 sur l’autre face. Votre problème est alors le suivant : quelle(s) cartes est-il nécessaire de retourner pour être certain que la règle est respectée ? En faisant très attention à ne pas utiliser de sophisme vous verrez qu’il faut retourner la carte A (vérifier qu’il y a un 4 derrière) et la carte… ? La bonne réponse est la carte 7, pour vérifier qu’il n’y a pas de A derrière. En effet, rien ne dit que s’il y 4 d’un côté il y a A de l’autre : ce serait un sophisme AC. Et rien n’interdit non plus qu’il y ait un 4 derrière un D (sophisme NA).
Ce problème est rarement résolu malgré sa simplicité apparente, et pourtant, en posant exactement le même problème dans un contexte plus courant pour tous, la plupart des gens arrivent à le résoudre ! Imaginons maintenant que vous êtes un pandore (rien ne vous sera épargné…) et que vous devez vérifier que la loi qui dit que si une personne boit de l’alcool, elle doit avoir dix-huit ans est bien respectée. Dans un bar, il y a 4 personnes et vous connaissez soit ce qu’elles boivent, soit leur âge, en l’occurrence :
Gnole jus de fruit 20 ans 16 ans
Quelle(s) personne(s) devez-vous contrôler pour savoir si la loi est respectée ? Bravo, vous avez immédiatement trouvé (gnole et 16 ans) sans effort particulier. Vous finirez colonel de gendarmerie !
Pourtant, dans les 2 cas, il s’agissait de mettre en œuvre le même raisonnement, la seule différence étant le niveau d’abstraction ou l’habitude de la situation. Il peut arriver dans nos réflexions, surtout si elles s’éloignent de sujets que l’on maîtrise, par formation, par goût, par habitude ou militantisme, de faire le même genre d’erreurs grossières que l’on critique si facilement chez les autres. Mais un peu de logique et même avant cela, d’attention aux problèmes qui nous sont posés nous permettront avec nos intelligences unies d’éviter le sophisme et le mensonge. Si le syndicat doit apprendre au travailleur la « science de son malheur », autant utiliser les outils de la science !